30.9.06

Tarrano, dernier refuge des Cathares?

J'ai souhaité relater ici l'événement historique le plus important que le village de Tarrano ait connu et ignoré par bon nombre car absent (volontairement pour certains) des principaux ouvrages.                        J'ai délibérément ponctué le titre d'un ?, car je laisse à chacun le loisir de se forger son opinion.                                                                        Vous permettrez que je dépose ici mon sentiment ; je pense que ce ? n'a pas lieu d'être et qu'il s'est bien déroulé des évènements d'une extrême importance à Tarrano au 14e siècle.                                                    Je reprends simplement les récits et les analyses d'historiens en y joignant parfois des commentaires.
                                                                                                        LES CATHARES CORSES OU LES GIOVANNALI                                              L'histoire retient qu'il s'agit d'hérétiques qui, à la fin du 14ème siècle, avaient failli gagner la Corse entière à leur doctrine et qui furent pourchassés, massacrés avec autant d'acharnement que les Albigeois. Ces évènements méritent d'avantage que quelques lignes dans nos livres d'histoire car ils ont très certainement eu une grande influence sur l'organisation de la société Corse. Certains emploient le terme de "secte" pour désigner les Giovannali, pour ma part je préfère "cercle", car aujourd'hui les sectes n'ont rien à voir avec les regroupements de l'époque. 

LES CAUSES 
Le 14ème siècle, une période d'une extrême misère. En Corse, dans le Delà des Monts (schématiquement le sud), régnaient en maîtres absolus les brigands seigneuriaux qui terrorisaient la population. En effet, la douce domination Pisane venait de s'achever et Gênes ne devint régulièrement maîtresse de l'Ile qu'en 1358. Chacun n'avait d'autre choix que la double soumission. L'une à Dieu et l'autre au brigand seigneur lui-même l'allié du clergé. Outre cette terreur, vinrent s'ajouter la peste, la lèpre (un mal particulier à la Corse), la gale, dont les habitants de Sartène (Carbini, le village d'origine des Giovannali se situe dans cette région) souffraient et la famine. Sans oublier que le 14ème siècle fut le grand siècle des hérétiques au cours duquel Satan terrorisait son monde. L'ensemble de ces maux devaient fatalement inciter les populations à l'exhaltation démoniaque.

LES GIOVANNALI - LES ORIGINES 
Il est relativement aisé de comprendre les causes d'un soulèvement, il est beaucoup plus délicat d'en connaître les origines, surtout lorsque l'on évoque les Cathares avec tous les mystères qui les entourent. Comme pour Les Causes, pour aborder Les Origines, je m'appuie principalement sur l'analyse d'Alexandre Grassi présentée lors de sa conférence de 1866 et commentée par l'historien contemporain Antoine Dominique Monti. Nous avons vu précédemment que toutes les conditions étaient réunies pour inciter les populations à la révolte. Il semblerait que les derniers des Albigeois (Cathares) soient à l'origine des Giovannali. Sur la fin du 13ème siècle, les Cathares du midi de la France étaient poursuivis et traqués de toutes parts. Bon nombre se réfugièrent en Sicile, puis remontèrent l'Italie pour s'établir dans la Pouille. A nouveau chassés, ils séjournèrent en Lombardie, ensuite dans le Piémont et dans les gorges de Val de Rassa où ils furent pratiquement tous exterminés par les seigneurs voisins. Les quelques survivants se réfugièrent en Sardaigne, pays où l'inquisition n'avait pas encore été établie. De là, on peut imaginer que quelques uns de ces réfugiés s'établirent en Corse (vers 1340) qui, à l'époque, commerçait beaucoup avec la Sardaigne. On le comprend d'autant mieux que le Roi d'Aragon déclara l'inquisition en Sardaigne peu de temps après, incitant les malheureux à se réfugier en Corse.
Dans ses notes, Antoine-Dominique Monti indique que l'hérésie aurait également pu venir d'Italie surtout de Toscane ou d'Aragon via la Sardaigne.

LES GIOVANNALI - LA NAISSANCE                                                            Les Albigeois ou Cathares décidèrent-ils délibérément de se rendre en Corse pour répandre leur doctrine ou pour fuir l'inquisition? Il est difficile d'y répondre. Ce qui est vraisemblable, c'est qu'ils apportèrent avec eux leurs convictions, sans pour autant appliquer à la lettre la doctrine Cathare. Ils développèrent l'idée première, une vague idée de rénovation sociale, pratiquant en certains points les règles cathares comme le dualisme, pensée religieuse admettant et opposant le bien et le mal. En faisant simple, on pourrait avancer que les Albigeois se réclamaient des enfants de Satan en opposition avec Dieu. Comme on l'a vu précédemment, le clergé (le représentant de Dieu), était l'allié du seigneur tyran. Le terrain était donc propice pour se révolter à la fois contre l'église et contre les seigneurs. Au-delà de cette haine, les Cathares amenèrent une nouvelle idée de la société. Ils prônaient le partage des biens, des femmes, des enfants, tout devait être en commun. Ils avaient pour idéal un genre de vie très strict, tout entier tourné vers la pénitence, avec comme principales vertus, la pauvreté et la fraternité. Compte tenu de l'ensemble de ces facteurs, on peut admettre qu'une partie du peuple trouva un grand réconfort auprès des Albigeois. Ce cercle grandit donc très vite autour de la piève (territoire administratif réunissant communes et paroisses) de Carbini, village de l'Alta-Rocca au Sud de la Corse. A sa tête, les frères Polu (le chef) et Arrigu d'Attala, fils bâtards de Guglielminuccio.                                    Concernant l'origine du nom Giovannali : Il existe plusieurs hypothèses, j'évoquerai ici les principales.                                                               1 : Giovannali pourrait venir de Joviniani qu'il faut traduire par adepte de Saint Jean l'évangéliste. Les Cathares avaient toujours sur eux l'Evangile de Saint Jean.                                                                         2 : Les Cathares de Carbini se réunissaient dans l'église Saint-Jean Baptiste.                                                                                                3 : Iohanne Martini, vicaire du Ministre général en Corse, fonde en mai 1353 une congrégation à Carbini. En octobre 1353, le frère Ristoro, vicaire de cette congrégation, est excommunié ainsi que les hommes et les femmes qui en font partie. Il est possible qu'Iohanne Martini soit parallèlement devenu le prédicateur voire l'un des fondateurs du cercle et lui prêta son nom.                                                                             4 : Un grand nombre de Cathares de France adoptèrent la doctrine d'un réformateur né dans le mouvement même, le docteur Giovanni di Lugio, donnant son nom à la société.
Dans son étude, Grassi reprend les thèses d'Anton Pietro Filippini développées dans son ouvrage "Chronique de la Corse, 1560-1594".
"Pour mettre le comble aux malheurs de l'île", dit Filippini "une secte s'éleva dans ces mêmes temps, à laquelle on donna le nom de Giovannali: elle eut pour auteurs Polo et Henri d'Attalà, frères illégitimes de Guglielminuccio, qui avaient peu de partisans et se vantaient d'en acquérir davantage par ce moyen. La secte s'établit sous leurs auspices dans le pays des Carbini: elle comprenait des hommes et des femmes et parmi ceux qui la composait tout devait être en commun, non seulement les biens de toutes sortes, mais aussi les femmes et les enfants; peut-être voulaient-ils renouveler cet âge d'or que les fictions des poètes placent dans les temps de Saturne. Ils pratiquaient certaines pénitences de leur façon et se réunissaient la nuit dans les églises pour y faire leurs sacrifices, pendant lesquels, après quelques superstitions et fausses cérémonies, ils éteignaient les lumières et..."
                                                                                                             LES GIOVANNALI - LA REVOLTE                                                                Inévitablement la révolte éclata contre les seigneurs et ceux-ci furent repoussés dans le village de Lévie. Les Giovannali créèrent le village de Zevaco. Devant ce soulèvement sans cesse grandissant, l'autorité de l'Eglise s'en trouva elle aussi amoindrie. Le pape Innocent VI décida d'anéantir les Giovannali, les déclara hérétiques, les excommunia et envoya contre eux une expédition. L'alliance du clergé et du seigneur détruisit entièrement Carbini. Les Giovannali se réfugièrent dans les montagnes, recrutant dans leurs retraites de nouveaux adeptes. Ils remontèrent la chaîne de montagne séparant le sud du nord et s'installèrent dans la pieve d'Alésani en Castagniccia.                        Pourquoi cette région?                                                                         Un choix forcé par la situation ou une volonté délibérée? Difficile de le savoir. On peut tout de même préciser que l'Alésani se prêtait parfaitement comme terre d'asile et ceci principalement pour des raisons sociales. En effet, depuis l'occupation romaine, les villages de cette région s'auto-administraient sans aucune dépendance d'un quelconque tyran seigneur contrairement aux régions du sud. On conviendra que cette terre allait être appréciée de nos Giovannali. De plus, la famine disparue, l'Alésani offrait avec la chataîgne de la nourriture en quantité suffisante. Grâce à leur propre organisation, les Giovannali devinrent vite puissants.

LES GIOVANNALI A TARRANO                                                                   A partir d'ici, nous entrons directement dans l'histoire de Tarrano. Lors de sa conférence (1866) Alexandre Grassi dit en parlant des Giovannali : "Peu de temps après leur arrivée à Alésani, ils devinrent réellement puissants. Filippini, car je ne veux marcher qu'avec lui, Filippini ne donnait rien aux suppositions hardies. Filippini dit qu'ils y avaient établi un gagliardo presidio. Et le fait confirme l'exactitude de notre analiste que j'entends souvent, bien mal à propos, accuser d'invention pourtant. J'ai vu les ruines de ce presidio: elles sont placées sur une immense roche dominant le ruisseau de Pardina et s'appellent dans le pays: le Ruscitello. Il n'est pas d'habitant d'Alésani qui ne sache que c'était là la tour des Giovannali, car les souvenirs de la secte sont là très vivants encore"
Dans ses notes (1996) sur la conférence d'A Grassi, Antoine Dominique Monti ne confirme pas l'existence de ce presidio : "Hélas! les habitants d'Alisgiani ont beaucoup désappris depuis. Il m'a été impossible de localiser le Ruscitellu. Est-ce l'actuel lieu-dit Torra qui domine au sud le confluent du ruisseau de Pardina et de la rivière Bussu?".                                                                     Pour appuyer la présence de cette société en Alésani, il y a l'histoire de ce moine de Bonicardo (hameau de Tarrano) qui a été tué par les Giovannali devenus pour certains les ennemis perpétuels de l'Eglise. Rome, en béatifiant ce moine martyre, a authentifié la présence des Giovannali. L'église craignant la propagation des idées cathares, jugées par elle dangereuses, le commissaire du pape fit appel à de nouvelles troupes composées en partie de Corses qui, après avoir acculé les Giovannali dans les gorges du Busso, massacrèrent la plupart d'entre eux (1359). Les autres furent pourchassés dans toute l'Ile et il était permis à tout Corse de les tuer comme des chiens malfaisants. Les quelques rescapés se réfugièrent dans les forêts et cavernes du canton de Talavo. Cependant, l'hérésie prospéra en Corse pendant toute la seconde moitié du 14ième siècle. Simultanément à la présence des Giovannali en Alésani, naissait à Alendo (village situé dans le Bozio à 2 heures de marche), l'une des plus grandes révolutions de l'histoire de la Corse avec, à sa tête, Sambucucciu élu par ses pairs à Morosaglia pour mener la révolte (1358). Soutenu par Gênes, Sambucucciu mena la rébellion dans un premier temps contre les quelques seigneurs de sa région politique (crée en 1345) La Terre des Communs (le nord et une grande partie de l'est) en opposition à La Terre Des Seigneurs (le sud). Dans la région La Terre des Communs, il y a très peu de seigneurs, contrairement au sud resté féodal. On y vit en communautés villageoises, avec lois et magistrats, l'unité administrative étant la piève. Compte tenu de leur proximité géographique, il semble inévitable que les mouvements des Giovannali et celui de Sambucucciu se soient rapprochés. Et ceci, d'autant plus qu'ils avaient tous les deux comme principal adversaire le seigneur et comme objectif commun, une société plus juste, plus sociale, un peuple décideur. On comprend mieux pourquoi les futures grandes révoltes populaires corses, ont débuté pour la plupart d'entre elles en Castagniccia. Cette soif de justice, de liberté et de fraternité que l'on retrouvera dans le contenu de la première Constitution Corse (votée le 30 janvier 1735 à la Cunsolta d'Orezza, en Castagniccia), inspiratrice entre autres des Constitutions Américaine et Française. Concernant le lieu où beaucoup se firent massacrer, j'ai souvent entendu dire qu'il s'agissait de la tour de Sorbello, hameau de Tarrano. Je n'ai pas trouvé d'éléments confirmant ces faits. Alors, si certains d'entre-vous ont des traces écrites et même si vous n'êtes pas sûrs de l'exactitude des propos, je suis preneur pour au moins tenter de les étudier. On peut dire, que si les Giovannali se sont faits exterminés dans leur gagliardo presidio, tour située sur le ruisseau de Pardina, cela ne peut pas être à Sorbello car ces sites sont distants d'au moins 30 mn de marche. Par contre, la tour de Sorbello ayant réellement existée (tombée en ruine dans la seconde moitié du 20ième siècle), il est possible que le massacre s'y soit déroulé. L'ancien couvent d'Alésani est aussi cité comme dernier refuge des Giovannali. Selon Antoine Dominique Monti : "du temps des Giovannali existait un premier couvent, à 500 mètres au nord du village des Piazzali d'Alisgiani. On en distingue encore nettement les fondations. Il avait été construit entre 1236 et 1250. Il a probablement été détruit au cours de la croisade". Il est à noter que l'une des deux tours du hameau de Poggiale (à 10 mn de marche de Sorbellu) sur la commune de Tarrano était "la Tora di i Giovanalli", un élément supplémentaire à joindre à l'hypothèse de la vraissemblable extermination des derniers Giovannali à Tarrano vers la fin du 14ième siècle lorsque Boniface IX se trouva obligé de prescrire, le 3 août 1395, à Francesco Bonacorsi, évêque de Gravina, de "détruire" les Cathares et de lui confier le mandat d'inquisiteur jusqu'à nouvel ordre. De plus, il le recommanda à toutes les autorités locales de Corse et de Sardaigne et pria celles-ci de lui faciliter la tâche.
Les documents du Vatican ont donc l'avantage de révéler le prolongement de l'existence des Cathares à la fin du XIVe s., dans des îles peu accessibles et montagneuses. Ils ne fournissent malheureusement aucun détail sur leur mode de vie, leurs croyances, leurs rites, où le fonctionnement de la procédure inquisitoriale.

Que pouvons-nous retenir de cette période?
L'unique source d'Alexandre Grassi est Anton Pietro Filippini un archidiacre, historien et chroniqueur de son temps qui a publié à Tournon en 1594 sa "Chronique de la Corse (1561-1594)" dont je possède la magnifique nouvelle édition de l'historien contemporain Antoine-Marie Graziani.                                                                                    Filippini était un chroniqueur de son temps, né en 1529 à Vescovato (Haute Corse) qui a poursuivi les histoires de la Corse de Giovanni de la Grossa (1388-vers 1464), dont l'oeuvre a été remaniée et condensée par Montegiani jusqu'en 1539, complétée par Ceccaldi jusqu'en 1559.
Par ailleurs, Filippini dont le Chronique de la Corse est presque exclusivement liée à sa région, publie des évènements qui se sont déroulés deux siècles auparavant.
L'histoire étant faite de méfiances, alors même si les vérités historiques sont difficiles à appréhender car les rares chroniqueurs (presque exclusivement du clergé) s'arrangeaient parfois pour certifier des évènements sans réelles sources, on peut sincèrement affirmer qu'au 14ième siècle, en Alésani, la Société a été profondément marquée par quelques évènements pour le moins troublants.

Pace e salute,  
Philippe

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour,
ici Daniel.
Je vous envoie un message prochainement.

Adishatz