Colère matinale d'août 2005,
Comme pratiquement tous les matins lorsque je suis au village, je me fais une petite ballade bien souvent sans objectif, cela peut-être tout simplement sur la route, "purtina", embranchement, col, ou St Vitu....
Cette année, je ne suis pas encore descendu à La Porta, c'est l'une de mes ballades préférées.
Il est 6h30, pour éviter de troubler le sommeil de ma petite chambrée, je descends délicatement l'escalier de la maison Gabrielli. J'évite de faire grincer la porte d'entrée de peur de réveiller le village endormi. Le ciel est bleu, super, j'avale mon petit déjeuner, j'enfile mes baskets, remplis la gourde et c'est parti.
Un petit coup d'oeil chez les Concessa, ça roupille dur, Bernadette "la bergère" n'a pas encore saisi son bâton de pélerin. Mon cousin Jean Antoni est déjà au boulot, parti aux cochons.
Le sentier débute à quelques mètres, je constate que l'entrée en matière n'incite guère à poursuivre, le chemin a été défoncé par les travaux de La Mairie, de son parking et de son mur de soutènement.
Après 5mn de marche, c'est la jungle. Un arbre est couché sur le passage, je passe dessus, puis ce n'est que ronciers, fougères et autres végétaux. Le sentier du village a disparu, plus rien, et là, pour couronner le tout, un majestueux châtaigner est venu se coucher et terminer ses jours.
Bien sûr, je pourrais le contourner sans trop de difficulté, mais aujourd'hui, c'est mon coeur qui dit NON ! Je suis tellement écoeuré que pour la première fois en 45 ans, je décide de rebrousser le chemin menant à Poggiale!!!
Je rentre et écris de rage ces quelques lignes.
Comment peut-on avoir si peu de respect de nos aïlleux?
Ce chemin s'était la vie, il menait à l'école, on l'empruntait pour aller aux jardins, aux châtaigners, au moulin, c'était le poumon du village, reliant les hameaux les uns aux autres.
Certes, il est impossible de préserver la totalité du patrimoine de nos ancêtres, les hameaux tombent les uns après les autres et dame Nature reprend lentement mais inexorablement son territoire initial.
Hier, c'était Pogio et Pocchio, puis La Porta et Sorbello, aujourd'hui c'est Pogiale, à quand Bonicardo et Ortia? Et, que dire de Santa Maria de Tarrano, l'église de la commune qui n'est plus qu'un tas de pierres ?
Comment, avec la passion religieuse qui habitait nos villages, a-t-on pu laisser dépérir cet édifice?
Aujourd'hui, je constate avec grand plaisir que des travaux de rénovation sont entrepris à Sainto Vitto (église citée par Mgr Agostino GIUSTINIANI, dans sa Description de la Corse 1531 , édition Piazzola), même si je pense qu'il n'était pas utile de bétonner sur plusieurs centaines de mètres la piste qui mène à l'église.
Tout comme, il aurait été judicieux de conserver "Funtanichja" la fontaine du village, lorsque la route a été élargie pour on se sait quelles raisons, supprimant au passage des châtaigners centenaires d'une châtaigneraie déja bien mal en point.
"Funtanichja", c'était le lieu de rencontre du village : on y allait beaucoup pour papoter ; le filet d'eau était tellement insignifiant avant la construction du réservoir (vers 1950 par mon grand-père Don Philippe Réginensi), que certaines femmes s'y rendaient volontiers, sachant qu'en attendant leur tour, elles auraient loisir à s'entretenir des nouvelles de la commune et d'éviter ainsi certaines tâches ménagères ou de jardinage beaucoup plus contraignantes.
A "Funtanichja" arrivait l'eau de la source du village, aujourd'hui c'est l'eau de la montagne d'en face que seules les vaches "primées" daignent boire.
Au passage, l'eau de la source arrive toujours au réservoir, il suffisait de peu pour conserver ici un peu de mémoire collective.
Aujourd'hui "Funtanichja" n'est plus "Funtanichja", elle a été remplacée par une fontaine sans âme devant laquelle plus personne ne vient se poser.
Que dire de "Funtanone", le lavoir du village construit par mon grand-père en 1952 ?
Je me souviens parfaitement des femmes du village descendant à "Funtanone", portant sur leur tête des bassines de linge, puis après lessivage, remontant le chemin sans aucune difficulté. C'était également le chemin des jardins, chacun captant l'eau à tour de rôle, en respectant un planning parfaitement défini.
Aujourd'hui, le chemin est défoncé, les murs de soutènement s'effondrent et le lavoir est complètement délaissé ne servant là aussi que d'abreuvoir aux vaches "primées", qui pour accéder à l'eau, défoncent les murs des terrasses des anciens jardins.
Avec mon ami Pierre Leccia, nous avons entièrement nettoyé le lavoir (08-2005), coupé la végétation envahissant les murs au dessus des bassins et sorti 10cm de vase.
3 heures après, on s'y serait baigné !(cf photo du lavoir sur le site).
Les 2 jours suivants, j'ai nettoyé les abords du lavoir en évacuant 15cm de terre et d'excréments de vaches, mettant à nu des pierres servant de dalles.
J'ai eu la visite d'une bonne partie du village.
AOÜT 2006.
Cette année, bien entendu, je suis vite descendu constater l'état du lavoir.
Et là, oh divine surprise ! ... deux barrières avaient été mises sur le chemin. Je me dis, c'est super, c'est pour empêcher les vaches de venir tout saccager. Premier hic, ces barrières ne permettent pas le passage normal de l'homme, il faut les escalader. Je poursuis et constate le carnage autour du lavoir, tout a été retouné par les bêtes. Là, je ne comprends plus. Ces barrières ont-elles été installées pour empêcher le passage des animaux ou celui de l'homme, permettant ainsi aux vaches "primées" de s'épanouir en toute impunité ? En effet, comment comprendre qu'aucune barrière ne soit disposée sur les autres accès seuls empruntés par les animaux?
Je désire aussi évoquer les murettes. Pourquoi les anciennes sont-elles systématiquement détruites? Je veux parler de celles qui sont construites avec les pierres disposées verticalement ; là aussi, il serait judicieux d'en conserver quelques-unes et d'éviter de construire pour un oui ou pour un non des murettes qui ne servent pour beaucoup d'entre-elles à rien, surtout qu'elles sont trop hautes pour accueillir confortablement les discussions.
Voilà, j'en ai fini, je range ma colère, je n'accuse personne, il s'agit tout simplement d'un bien triste constat.
Pace e salute
Philippe